
Premier des cinq Monuments de la saison, la « Primavera » n’aura jamais aucun mal porté son nom. Traduisible par « Printemps », il est vrai que la Classique printanière se déroule traditionnellement au début de la deuxième quinzaine de mars. Avec un remplacement en août, la « Classicissima » aurait pû se surnommer exceptionnellement l’ « Estate » pour cette édition 2020.

Rarement un tracé n’aura subi autant de modification. En raison du contexte de Covid-19 en Italie, de nombreux maires ont fait front pour ne pas voir le peloton passer par leurs communes. C’est sur un tracé remanié que les coureurs s’élanceront. Et si la Classicissima est la course la plus longue de l’année, elle va franchir la barre des 300 kilomètres pour cette édition 2020.
Le dénivelé positif va ainsi passer de 2059 mètres à 2728 mètres. Le mythique final avec l’enchaînement Cipressa – Poggio restera inchangé. Mais cependant, les Capi (Mele, Cervo et Berta) seront cette fois remplacé par le Colle di Nava (3.9 kilomètres à 3.9%). Avec un sommet situé à 70 kilomètres de l’arrivée, les mouvements y sont peu probables pour tenter de dynamiter la course. D’autant que la plaine menant à la Cipressa ne sera pas favorable aux attaques.

La Cipresse est un incontournable. Situé à 21.5 kilomètres de l’arrivée, la montée n’est pas terrible. D’ordinaire 5.7 kilomètres à 4% ne cause aucune problème mais avec plus de 6 heures de course, les gens sont bien lourdes et les gradients de la Cipressa nuissent aux hommes les moins frais sur les très longues distances. Seulement, il est un problème de taille : les 12.4 kilomètres de vallée qui séparent le sommet de la Cipressa et le Poggio. C’est pourquoi les attaques sont devenues rares dans la Cipressa. Des grimpeurs s’y sont risqués à des attaques de loin comme Pantani 99 en ou Nibali en 2014 mais il faut néanmoins remonté à 1996 et l’attaque de Colombo, bien inspiré comme Bugno six ans plus tôt, pour retrouver une attaque victorieuse dans celle-ci.

Le Poggio est depuis des années, le juge de paix de Milan San Remo. Il est vrai que le Monument est considéré comme la Classique des sprinteurs, des grands noms du sprints comme Zabel (gardien de quatre victoires), Cipollini (2002), Cavendish (2009), et consorts s’y étant imposés. Mais il est toutefois à noter que les groupes à l’arrivée y sont fortement réduits : 23 coureurs en moyenne sur les 20 dernières éditions. Là où dans les années 80 et 90, les échappées au long court et les attaques dans le Poggio avaient tendance à être victorieuse devant le retour d’un peloton ne se partageant que les miettes.

Technique et rapide, la descente du Poggio est le dernier endroit où les plus téméraires peuvent tenter de creuser un écart suffisant pour entamer les 2.5 kilomètres de Boulevard menant à la via Roma. Cependant, très peu ose ce pari risqué comme Sean Kelly le fît en 1992 ou plus récemment Nibali en 2018.

La tendance des 10 dernières années semble à une rarefaction des sprinteurs purs se disputant la victoire sur la Via Roma. Le raccourcissement de la distance à parcourir entre le pied de la descente du Poggio et la ligne d’arrivée depuis 2015 n’y est sans doute pas étranger. Les puncheurs ont donc une belle carte à jouer contre l’organisation d’une chasse sur cette partie finale. D’autant qu’avoir un train à sa disposition dans de telle condition semble d’autant plus complexe.

Pour autant, le nouveau tracé n’est-il pas favorable aux sprinteurs ?
Si le dénivelé positif est plus important, l’approche de l’enchainement Cipressa – Poggio est moins exigeant que les Capi ne le sont. Avec un Colle di Nava escamoté, les sprinteurs pourrait être rassurés. D’autant que le trop-plein de kilomètres de plaine n’est pas incitateur de mouvement loin de l’arrivée. Rajoutons qu’une course si long à l’ouverture de la saison pourrait rester dans les jambes de pas mal de coureurs. Seulement, nombre sont ceux à avoir profité du confinement pour faire des sorties monstrueuses de plus de 300 bornes. La question de la distance n’est dès lors que la même à chaque édition. Ce sont les coureurs qui encaissent le mieux les nombreuses heures de courses qui ont un avantage. Il est pourtant deux éléments qui penchent en la défaveur d’un scénario pour les sprinteurs. D’une part, la réduction à 6 coureurs qui obligent à la coopération des équipes de sprinteurs entre elles dans la chasse et l’économie de leur train respectif. Tout en les obligeant à avoir plusieurs cordes à leur arc, en ayant une ou plusieurs cartes puncheurs.


D’autre part, le vent en bord de riviera ligure devrait souffler de manière faible (25km/h) au grand maximum et de côté dans le Poggio. Ce qui implique une montée rapide et donc défavorable aux sprinteurs les plus moins aguéris dès que la pente s’élève.

Si Wout Van Aert est le favori des bookmakers, c’est à raison. Il est à l’heure actuelle, le coureur le plus en forme du peloton professionnel. Impressionnant lors de sa victoire sur les Strade Bianche, il n’a eu de cesse d’attaquer lors des secteurs de graviers faisant l’écrémage dans le groupe de tête avant de partir en solitaire vers une victoire méritée. Véritable bête à rouler, il est un cyclocrossman de talent (multiples champion du monde). Troisième de Milan-Turin alors que son placement semblait le promettre à une place hors du podium, il a fait preuve d’une puissance sans conteste. Il était d’ailleurs sûrement au vue de sa remontée, le coureur le plus puissant ce jour-là. Ce qui montre ses qualités et sa vitesse lors des arrivées groupées. Mais est-ce une surprise pour un coureur qui a remporté le sprint du peloton lors de l’étape d’Albi du Tour de France 2019 marqué par la bordure qu’aura piégé Thibaut Pinot. Sixième l’an passé, il était présent dans l’emballage final pour son premier Milan San Remo. Ce qui démontre qu’il sera là dans une arrivée sélective où les puncheurs ont la main. Encore une fois, est-ce une surprise avec le sprint de Voiron du dernier Dauphiné ? Évidemment que non, un gros client assurément.

Quand on parle de WVA, on doit nécessairement mentionner son plus grand rival : Mathieu Van der Poel. Le vainqueur de l’Autel Gold Race 2019 est toujours à la recherche d’une grande Classique qu’il gagnerait à la manière, de façon indiscutable afin d’accrocher son premier Monument à son palmarès. Ultra favori lors des Strade Bianche, il y a été invisible. Présent sur le sprint de Milan-Turin, il finit à une place anecdotique. Lui qui a pourtant une très bonne pointe de vitesse et à déjà supplanté quelques sprinteurs au cours de sa carrière sur route qui ne fait que débuter. Est-il en forme ? Si son record de montée sur Strava du Col Petit Saint-Bernard est à relativiser puisqu’il est roulant : 23 kilomètres à 4%. Il correspond en terme d’effort à un cyclocrossman à bloc pendant une heure de course (temps d’ascension : 51’19 »). MVDP est en forme à ne pas douter et c’est de malchance qu’il a joué en creuvant au pire moment lors des Strade. Sur Milan-Turin, il n’a pas semblé disputé le sprint étant placé du mauvais côté et n’ayant un train adéquat. D’autant qu’il venait pour emmener Modolo, le mood n’était pas à la gagne. L’esprit est tout autre samedi. Pour gagner Milan San Remo, il faut être placé dans le Poggio afin de ne pas subir les cassures et surtout pouvoir répondre aux attaques tranchantes des puncheurs. Sans problème pour le néerlandais qui sait toujours bien se positionner. C’est un client à ne pas négliger, sa grande rivalité avec le belge devrait le pousser à s’imposer très rapidement. La machine à watts est lancée.

Comment ne pas mentionner Philippe Gilbert quand on parle de Milan San Remo ? Dernier Monument à accrocher à son palmarès, le belge joue son va-tout sur cette course. Assurément, le leader de la Soudal Lotto est en grande forme. C’EST L’OBJECTIF DE SA SAISON, l’objectif d’une vie. Alors oui, l’ancien champion du monde 2012 n’a plus le punch d’antan. Mais ne jamais sous-estimer son intelligence de course. Où a-t-il le plus de chance de remporter la Classicissima ? Très certainement dans la descente du Poggio ou en surprenant son monde en tentant le kilomètre. Si ses chances sont réduites par rapport aux années précédentes. Le coureur de 38 ans est nécessairement un homme à mentionner et un coureur qui jouera la gagne dans un coûte que coûte que cependant tout le monde attend. Saura-t-il nous surprendre ? L’occasion de rentrer dans le club très fermé des vainqueurs des cinq Monuments (Merckx, de Vlaeminck, Van Looy) est énorme et serait l’achèvement d’une carrière bien remplie. Gilbert pour l’Histoire, que ce serait beau.

Un mot spécial pour conclure sur les prétendants. Si la Deceuninck Quick Step est à mentionner obligatoirement quand on parle de classiques et que l’équipe est sur le papier la meilleure. Leur meilleur chance semble reposer sur Zdenek Stybar qui a contre-temps à louper le coche lors de Strade Bianche mais a été impressionnant dans la chasse aux fuyards ne leur concédant de terrain. Ce qui indique que la forme est présente. La motivation de briller pour Jakobsen doit être un facteur supplémentaire pour le Wolfpack à ne surtout pas mésestimer. Cependant, mon œil se tourne vers un des deux favoris de la EF Pro Cycling. Comme la saison dernière, Simon Clarke est dans mon viseur. Co-leader avec Bettiol, ce dernier a annoncé suivre les coups dans le Poggio et ne pas attaquer pour attendre le sprint final.
I had a good result last year with the top 10 and I am definitely aiming to try to better that result this year
https://www.efprocycling.com/the-beautiful-song-of-milano-sanremo/
Victime d’une chute le contraignant à l’abandon en 2018, l’australien était de retour l’an passé et présent pour la gagne en revenant sur le groupe de tête dans la descente du Poggio. Coureur avec une bonne pointe de vitesse, attention de ne pas arriver avec lui en petit comité.
PRONOSTICS
Philippe Gilbert vainqueur : 21 – 0.25% (Unibet)
Mathieu Van der Poel vainqueur : 9 – 0.25% (Unibet)
Simon Clarke vainqueur : 60 – 0.125% (Betclic)
Simon Clarke podium : 15 – 0.125% (Betclic)
Wout Van Aert podium : 2.5 – 0.5% (Winamax)